Damien, ou rencontre avec un zem’papa

Article : Damien, ou rencontre avec un zem’papa
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21 juin 2015

Damien, ou rencontre avec un zem’papa

Le prix du pétrole, la paternité ou la dureté de la vie de taxi-moto : rencontre avec un zem’papa qui n’avait pas sa langue dans sa poche.

« Un homme ne reste pas couché, impossible ! » Tels sont les mots de Damien, un homme d’une trentaine d’années, conducteur de taxi-moto, Zemidjan(1) avec qui j’ai fait une course et un brin de causette. Il est plutôt sympathique, je l’ai compris tout de suite en l’arrêtant d’un grand geste [parce que l’endroit que je quittais n’est apparemment pas très prise des zem(1)].

Après les négociations d’usage, il m’invite à chevaucher son fidèle destrier et nous voici parti. Les discussions ont été un peu longues, il faut l’avouer par ces temps de pénurie générale. Ce qui lui le préoccupe, c’est bien entendu le kpayo(2), son sauveur qui de plus en plus lui refuse l’union. Il m’explique alors qu’il fallait essayer de le comprendre parce que les choses sont comme elles sont et qu’il est obligé de suivre pour survivre. Il me confie avoir perdu toute la journée de la veille dans une file interminable pour avoir quelques litres d’essence histoire de faire tourner son affaire. Aujourd’hui est donc un jour de rentabilisation maximum.

« Les jeunes pensent que la vie, c’est comme les films ?« 

Un point important avec Damien, c’est qu’il très propre et conduit sagement. Il a pourtant une tête de jeune, je lui donnais dans les vingt et poussière. Il me dit : « Tonton, toi la, tu es grave quoi ! En fait je suis né il a plus de trente saisons sèches dans un village au nord là-bas ! » Son éloquence m’a émerveillé alors j’ai laissé sortir un « Wow ! » Il reprit : « Oooorh, vraiment… Non en fait j’ai été un peu à l’école hein. J’ai fait la terminale mais par faute de moyen, je me suis retrouve ici avec le maillot jaune ».

Je lui répondis : « Mais grand frère sinon il n’y a pas de sot métier hein, c’est Dieu qui nous guide. Du moment où on ne vole pas c’est que c’est bon ou bien ? La preuve sans vous nous on ne bouge pas ici hein ! » Il me regarde par son rétroviseur, esquisse un sourire et dit : « Au nom de Dieu, tu as dit toute la vérité, parce que moi je vois les jeunes de maintenant la, si c’est pas faire guail(3) ou bien fétiche, ils ne veulent rien faire. Ils pensent que la vie c’est comme les films ? ». Il a un avis sur tout. Et pas des moindres.

« Dieu est fort quand même…« 

J’ai voulu le titiller un peu sur sa personne à lui, je lui ai donc posé des questions d’ordre plutôt personnel. Il m’a fait comprendre qu’il est en concubinage avec une jeune dame, ma dame comme il m’a précisé (ce n’est pas madame hein, mais ma dame) et qu’ils avaient une petite fille de 4 ans. « Elle va à l’école depuis cette année, et je ferai tout pour qu’elle aille très loin. Pour le moment on combine avec les recettes que ma dame fait en vendant du charbon et du poisson fumé« .

A un moment il s’arrêta de parler et secoua la tête. Puis il me reprend en me disant : « Cela n’a pas été facile hein ! J’ai conduit pour une dame pendant sept ans avant d’acheter moi-même ma moto. Et ma fille est arrivée, on n’était même pas prêts mais c’est Dieu qui est fort quand même. Et ma femme là, c’est Dieu qui me l’a donné, au nom ». Je n’ai surtout pas voulu interrompre ce moment rétrospectif, il s’est installé un silence d’enterrement. Mais ce n’est pas connaitre Damien. Il m’a relancé vite fait sur un autre sujet et on a continué de plus belle.

Pour ce qui est de ses gains journaliers, il me répond que les jours se suivent mais ne se ressemble pas et que malgré tout, ils arrivent à avoir un bol de pâte au moins tous les soirs à table. J’ai compris qu’il ne voulait pas vraiment aborder ce sujet mais il me confie sa plus grande réussite : « Aujourd’hui on a une petite maison a Glo(4) la bas et on est bien avec ce qu’on trouve. Au moins, on ne paye plus le loyer ».

Une vie de labeur, de 6 heures du matin à 10 heures du soir

Plutôt que de faire comme les autres, arnaquer, ou encore d’autres activités pour lesquelles il a un véritable dégoût, Damien a très tôt choisi mouiller le maillot, au prix d’atroces courbatures par moment. J’ai ressenti un truc de savoir qu’on pouvait autant aimer ce que l’on fait même si ce n’était pas le rêve au départ, qu’on pouvait autant aimer la vie et partager.

Aujourd’hui encore, Damien s’est levé a 6 heures pour déposer des enfants de personnes qui le sollicitent à un horaire fixe, puis est revenu chercher sa fille et sa dame qu’il dépose respectivement a l’école et au marché. Pour ensuite croiser le chemin d’autres personnes jusqu’aux environs de 21 heures ou 22 heures au maxi parce qu’il tient a avoir une vie de famille aussi.

Je voudrais finir par un merci Damien pour ce moment. Merci a tous les Damien qui luttent tous les jours pour les leurs. Ne changez rien.

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  4. Village après Abomey-Calavi.
T'aimes être discret alors j'ai floué ton visage. :)
T’aimes être discret alors j’ai floué ton visage. 🙂

« Papa, mon père à moi, je ne te le dis pas assez souvent, je t’aime très fort et merci pour tout.« 

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